À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le Défenseur des droits rappelle les constats révélés par trois documents qui mettent en lumière les difficultés rencontrées par les femmes victimes de violences et/ou de harcèlement – notamment sexiste et sexuel – tout au long de leurs démarches de signalement et de plainte. L’institution appelle à une amélioration de l’accueil, de l’écoute et de l’accompagnement, en tenant mieux compte des besoins spécifiques de ces femmes.
L’étude Éclairage « Solliciter les forces de l’ordre : évolutions et inégalités relatives à l’accès au service public policier » menée par deux chercheurs en sociologie et en science politique, la récente décision-cadre 2025-019 concernant la méthodologie nécessaire à la bonne conduite d’une enquête par un employeur en cas de signalement pour discrimination sur le lieu de travail et la décision-cadre du 23 décembre 2024 relative aux conditions de prise en charge par les fonctionnaires de police d’une femme présentant une altération de ses facultés mentales et aux conditions de son placement en cellule de dégrisement mettent toutes les trois en évidence des difficultés dans les signalements par les femmes.
Trois documents révélateurs d’une même réalité
En France, près d’une femme sur trois déclare avoir déjà été harcelée ou agressée sexuellement sur son lieu de travail, comme l’indique l’étude IFOP pour la Fondation Jean Jaurès : « Deux ans après #MeToo : les violences sexistes et sexuelles au travail en Europe, Fondation Jean Jaurès, octobre 2019 ». Dans le cas des violences sexistes et sexuelles, le non-recours représente près de trois victimes sur dix (29%).
Dans ce contexte, plusieurs publications mettent en lumière des inégalités persistances dans l’accès aux droits et la dénonciation de faits pour les femmes victimes de harcèlements et/ou de violences.
Le Défenseur des droits a publié le 6 février dernier une décision-cadre sur le recueil des signalements et la conduite d’enquêtes internes en cas de discrimination dans l’emploi, incluant le harcèlement sexuel. Cette décision s’appuie notamment sur le constat que de trop nombreux manquements ainsi que de fortes disparités de pratiques persistent dans la réalisation des enquêtes internes, tant dans le secteur public que le secteur privé, compromettant la qualification juridique des faits et la mise en œuvre de mesures de protection des victimes. En conséquence, par peur des représailles, du dénigrement ou de l’isolement professionnel, un grand nombre de femmes victimes violences et/ou de harcèlement préfèrent alors garder le silence.
Pour les femmes qui décident de témoigner, dans l’espoir de bénéficier d’une protection immédiate et d’une reconnaissance de leur statut de victime, d’autres obstacles peuvent encore se présenter, comme des agents de commissariats ou de brigades de gendarmerie faisant preuve de comportements parfois décrits comme de « l’insensibilité » et de « la froideur », ou des difficultés à porter plainte. Dans une étude inédite sur l’accueil du public au sein des commissariats et des brigades de gendarmerie, publiée le 4 mars par l’institution, il apparait que malgré des évolutions concrètes en matière de prise en charge des violences (création de brigades spécialisées dans l’accueil des femmes et des enfants victimes de violences, fort investissement sur la prise en charge des victimes ; etc.) les femmes victimes de violences sont encore confrontées à des refus de plaintes, des déclassements des plaintes en mains courantes, mais également à une maltraitance au moment des interactions, qui peut se traduire par des blagues, des commentaires déplacés, des remarques sexistes et des accusations de se comporter de manière « agressive », etc.
Si la qualité du contact initial est globalement jugée satisfaisante, la gestion des plaintes, notamment des personnes les plus précaires, reste défaillante. Menée auprès de 2 500 usagers et de nombreux professionnels, cette enquête pointe le fait que les forces de l’ordre ont tendance à se concentrer sur la dimension pénale, au détriment des attentes sociales et relationnelles des personnes se rendant dans ces structures.
L’étude démontre également que, bien que la protection des femmes victimes de violences sexistes et sexuelles soit officiellement présentée comme une priorité politique, les ressources humaines et matérielles allouées restent insuffisantes pour garantir une prise en charge efficace et systématique. La gestion de l’accueil des victimes constitue une tâche particulièrement exigeante, marquée par une charge émotionnelle forte et nécessitant des compétences spécifiques en écoute active et en soutien psychologique. Pourtant, cette mission essentielle est souvent dévalorisée au sein des commissariats et des gendarmeries, et reléguée à de jeunes agents moins expérimentés, qui, faute de formation adéquate, se retrouvent démunis face à la détresse des victimes.
Le constat du manque de formation des agents de commissariats et de gendarmeries s’illustre également dans une récente décision du 23 décembre 2024, relative aux conditions de prise en charge d’une femme présentant une altération de ses facultés mentales et aux modalités de son placement en cellule de dégrisement.
Le Défenseur des droits a été saisi par une jeune femme de 30 ans, interpellée en pleine nuit d’hiver par les forces de l’ordre alors qu’elle errait dans la rue, sans manteau, téléphone ni sac à main, en pleurs et désorientée. Malgré ces signes alarmants, elle est simplement placée en cellule de dégrisement, les policiers concluant hâtivement qu’elle avait simplement trop bu. Or, ces éléments auraient dû alerter les agents sur un possible cas de soumission chimique et/ou de violences.
Faute de sensibilisation, aucun prélèvement sanguin ou test ne lui a été proposé pour détecter d’éventuelles substances ou constater de potentielles violences. En cellule de dégrisement, la jeune femme doit réclamer un kit d’hygiène dont elle avait besoin, qui lui est remis après une attente prolongée et sans respect de son intimité. Les agents, habitués à gérer des cas d’ivresse, ne lui témoignent ni empathie ni attention et personne ne cherche à recueillir son témoignage ou à évaluer la gravité de sa situation. Afin de dénoncer la prise en charge dont elle a fait l’objet, la jeune femme dépose plainte auprès de l'IGPN. Cette plainte sera pourtant classée sans suite, les agents justifiant notamment leur inaction par l’absence d’une déclaration explicite de sa part au sujet de violences.
Cette situation révèle ainsi les profondes lacunes dans la détection de la soumission chimique et des situations de vulnérabilité et la nécessité impérieuse d’une formation adaptée des forces de l’ordre en la matière
Mettre fin aux inégalités et mieux protéger les femmes
Ce manque de reconnaissance des violences subies, tant lors des enquêtes internes que dans l’accueil au sein des gendarmeries et commissariats, conjugué aux stéréotypes de genre et à la banalisation de certains faits, fragilise la reconnaissance juridique des violences et contribue au non-recours aux droits. Les femmes qui cherchent une reconnaissance des faits se retrouvent alors doublement victimes, en raison d’un système qui les stigmatise davantage, et qui peut aggraver encore leur souffrance et leur marginalisation.
Pour y remédier, le Défenseur des droits recommande d’une part, dans l’emploi, la mise en place d’une méthodologie rigoureuse pour encadrer les enquêtes internes, afin de permettre aux femmes de signaler le harcèlement et les violences subies en toute sécurité, sans crainte de représailles ni entraves à leurs démarches. Ces enquêtes doivent être menées dans le respect des principes de confidentialité, d’impartialité, d’objectivité et de rigueur.
D’autre part, le Défenseur encourage la professionnalisation des pratiques des forces de l’ordre, avec un renforcement du cadre déontologique, des modules de formation continue et la mise en place d’évaluations régulières des dispositifs d’accueil au sein des gendarmeries et commissariats. Elle recommande aussi de renforcer la formation des forces de l’ordre sur les détections d’agressions sexuelles, notamment en cas de suspicion de soumission chimique et de faciliter l’accès à des kits de détection dans les commissariats, brigades de gendarmerie et unités médico-judiciaires. Dans le même temps, elle indique que les kits d’hygiène doivent être remis dans le respect de la dignité des personnes placées en garde à vue avec la possibilité de s’isoler pour l’utiliser dans de bonnes conditions.
Seule la mise en œuvre de mesures concrètes et durables garantira un accueil digne et efficace des femmes victimes de violences, que ce soit sur leur lieu de travail ou auprès par les forces de l’ordre.